11. Reigen
box 17/1
UN ROUVEAU LIURE DARTHUR SCHNITZLER
GEV ROD S
L
9 Z9
Laimable auteur et le joli livre! C’est d’Ar¬
thur Schnitzler que je parle et son dernier ou¬
vrage que je venx dire (1).
Arthur Schnitzler, encore peu connu en
France, malgré un artiele de M. Emile Faguet
dans ses Propos lilléraies, est le plus spirituch
des écrwvains allemands contemporains, II me
paraft étre une définition vivante de cet esprit
discret, complexe et profond, qu’on appelle
Ihumour. M. Schnitzler est Viennors; son hu¬
mour ne ressemble ni à la blague ou à la rosse¬
rie parisienne, ni à la cocasserie anglo-saxonne,
nià la grosse farce berlinoise; on y trouve de
’ironie, de la pitié, de la crnauté, de l’indul¬
gence, de l'amour et du mépris, avec un peu de
cette nonchalance Clégante ou se complaft le
déclin de Vienne.
Romancier ou dramaturge, M. Schnitzler,
dont le talent est trés varié, semblesurtout á son
aise dans les petits tableaux, dans les courtes
scènes, nouvelles ou piécettes. Personne, mème
à Paris, ne traite comme lui le dialogue ou la
comédie de paravent. Nul ne sait, avec plus de
souplesse et de süreté, refléter le caractère ou
Thumeur d’un personnage dans une phrase
bréve et nuancée; nul ne sait mienx, en garda
t
Tharmonie du dialogue, donner à chaque interlo¬
cuteur le langage qui convient à son röle. Sans
doute, ce n'est pas du grand art, mais c’est un
art achevé, toujours agréable, souvent exquis.
Aussi bien, Arthur Schnitzler ne se contente
pas d’aligner des répliques divertissantes. II y a
tonjours, sinon dans ses ceuvres, du moins entre
elles et derriere elles, matière à réflexion. Mais
il suggère sa philosophie avec une infinie déli¬
catesse, il n'a rien d’un censeur ou d’un théori¬
cien pédant. La moralité de ses fables est silen¬
cieuse: elle ne s’impose pas au cours de la lec¬
ture ou du spectacle. Elle se propose seulement,
plus tard, à ceux qui aiment à revenir en pensée
sur leurs amusements. Ainsi les fusées d’une
féte, en rctombant à demi-éteintes, improvisent
eurs plus beaux dessins.
Arthur Schnitzler avait donné dans ses
Heures de Vie quatre pièces en un acte, tres
dissemblables et que réunissait pourtant l’invi¬
sible lien d’une inspiration commune. Son nou¬
veau livreoffre quelque chose de pareil: il com¬
prend dix dialogues — parfois un peu pimentés
et nous présente dix personnages. Dix fois
c’est le méme sujet, dix fois (au moins) le mème
geste: l’amour. Chaque personnage y parait
deux fois dans dans le röle éternel et passager
d’amant ou d’amante, par une combinaison
d’une gräce mathématique. Les dix personnages
sont: la ülle Léocadie, un tourlourou, une sou¬
brette, le fils de la maison, une femme mariée
son mari, une grisette, un pocte, une actrice, et
un officher noble. Le premier dialogue S’échange
sur un trottoir garni de bancs, au bord du petit
Danube, devant le pont de l'Augarten, entre la
fille et le tourlourou; lesecond sur les pelou¬
ses et parmi les buissons du Prater, un diman¬
che sorr, entre le tourlourou et la soubrette; le
troisième entre la soubrette et son jeune maitre
(1) Arthur Schnitzler: Reigen.. — Vienne, Wiener Ver¬
lag, 1903.
Alfred, dans la chambre de, celui-ci; le qua¬
trième entre Alfred et Emma dans une garçon¬
nière de la rue Schwind; le cinquième entre
Emnià ét Charles son epoux, dans leur chambre
conjugale; le sixième entre Charles et une gri¬
sette, en scabinet particulier, puis c’est la gri¬
sette qui revient en scène avec un pocte drama¬
tique; puis le poéte qui emmène aux environs
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UN ROUVEAU LIURE DARTHUR SCHNITZLER
GEV ROD S
L
9 Z9
Laimable auteur et le joli livre! C’est d’Ar¬
thur Schnitzler que je parle et son dernier ou¬
vrage que je venx dire (1).
Arthur Schnitzler, encore peu connu en
France, malgré un artiele de M. Emile Faguet
dans ses Propos lilléraies, est le plus spirituch
des écrwvains allemands contemporains, II me
paraft étre une définition vivante de cet esprit
discret, complexe et profond, qu’on appelle
Ihumour. M. Schnitzler est Viennors; son hu¬
mour ne ressemble ni à la blague ou à la rosse¬
rie parisienne, ni à la cocasserie anglo-saxonne,
nià la grosse farce berlinoise; on y trouve de
’ironie, de la pitié, de la crnauté, de l’indul¬
gence, de l'amour et du mépris, avec un peu de
cette nonchalance Clégante ou se complaft le
déclin de Vienne.
Romancier ou dramaturge, M. Schnitzler,
dont le talent est trés varié, semblesurtout á son
aise dans les petits tableaux, dans les courtes
scènes, nouvelles ou piécettes. Personne, mème
à Paris, ne traite comme lui le dialogue ou la
comédie de paravent. Nul ne sait, avec plus de
souplesse et de süreté, refléter le caractère ou
Thumeur d’un personnage dans une phrase
bréve et nuancée; nul ne sait mienx, en garda
t
Tharmonie du dialogue, donner à chaque interlo¬
cuteur le langage qui convient à son röle. Sans
doute, ce n'est pas du grand art, mais c’est un
art achevé, toujours agréable, souvent exquis.
Aussi bien, Arthur Schnitzler ne se contente
pas d’aligner des répliques divertissantes. II y a
tonjours, sinon dans ses ceuvres, du moins entre
elles et derriere elles, matière à réflexion. Mais
il suggère sa philosophie avec une infinie déli¬
catesse, il n'a rien d’un censeur ou d’un théori¬
cien pédant. La moralité de ses fables est silen¬
cieuse: elle ne s’impose pas au cours de la lec¬
ture ou du spectacle. Elle se propose seulement,
plus tard, à ceux qui aiment à revenir en pensée
sur leurs amusements. Ainsi les fusées d’une
féte, en rctombant à demi-éteintes, improvisent
eurs plus beaux dessins.
Arthur Schnitzler avait donné dans ses
Heures de Vie quatre pièces en un acte, tres
dissemblables et que réunissait pourtant l’invi¬
sible lien d’une inspiration commune. Son nou¬
veau livreoffre quelque chose de pareil: il com¬
prend dix dialogues — parfois un peu pimentés
et nous présente dix personnages. Dix fois
c’est le méme sujet, dix fois (au moins) le mème
geste: l’amour. Chaque personnage y parait
deux fois dans dans le röle éternel et passager
d’amant ou d’amante, par une combinaison
d’une gräce mathématique. Les dix personnages
sont: la ülle Léocadie, un tourlourou, une sou¬
brette, le fils de la maison, une femme mariée
son mari, une grisette, un pocte, une actrice, et
un officher noble. Le premier dialogue S’échange
sur un trottoir garni de bancs, au bord du petit
Danube, devant le pont de l'Augarten, entre la
fille et le tourlourou; lesecond sur les pelou¬
ses et parmi les buissons du Prater, un diman¬
che sorr, entre le tourlourou et la soubrette; le
troisième entre la soubrette et son jeune maitre
(1) Arthur Schnitzler: Reigen.. — Vienne, Wiener Ver¬
lag, 1903.
Alfred, dans la chambre de, celui-ci; le qua¬
trième entre Alfred et Emma dans une garçon¬
nière de la rue Schwind; le cinquième entre
Emnià ét Charles son epoux, dans leur chambre
conjugale; le sixième entre Charles et une gri¬
sette, en scabinet particulier, puis c’est la gri¬
sette qui revient en scène avec un pocte drama¬
tique; puis le poéte qui emmène aux environs